Emmanuel Clévenot
AFP
Le 12 décembre 2015, la signature de l'Accord de Paris offrait une lueur d'espoir dans la lutte contre le chaos climatique. Dix ans plus tard, les signaux sont au rouge et cette boussole semble plus fragile que jamais.
Un coup de marteau aux répercussions historiques. Il y a dix ans jour pour jour, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères et président de la COP21, scellait l'adoption de l'Accord de Paris. Assis à ses côtés, François Hollande l'enlaçait aussitôt sous une pluie d'acclamations. Les archives des journaux télévisés de l'époque en témoignent : dans un même élan, les émissaires des 195 nations présentes se levèrent de leur siège pour saluer ce que l'on qualifiait alors de « grande victoire pour l'humanité ».
Une décennie plus tard, le multilatéralisme a pris un coup de vieux et cette scène de liesse revêt désormais un aspect archaïque. Le 22 novembre, la COP30 au Brésil s'est clôturée dans une ambiance chaotique, sous les huées de diplomates dont les objections ont été ignorées par la présidence. Un fiasco tendant à devenir coutumier de ces fins de conférences, à l'image de celui observé un an auparavant lors de la 29e édition en Azerbaïdjan.
L'esprit de l'Accord de Paris s'est-il totalement évaporé ? Et qu'en est-il des résultats concrets de ce traité universel ? Retour en cinq points clés sur les dix années de cette boussole climatique, porteuse d'espoir mais aussi de maintes déceptions.
1. Un objectif phare désormais inatteignable
Limiter la hausse de la température planétaire bien en deçà de 2 °C en comparaison au niveau préindustriel, et de préférence sans dépasser la barre de 1,5 °C. Tel était et demeure l'objectif phare de l'Accord de Paris. Pourtant, dix ans après sa signature, la Terre est en surchauffe : les onze années écoulées ont été les onze plus chaudes depuis le début des relevés météorologiques en 1850 ; l'année 2025 est en passe de devenir la deuxième plus chaude de l'Histoire, et la précédente a été la première à franchir 1,5 °C, d'après l'observatoire Copernicus.
Pour que l'accord soit officiellement enfreint, ce seuil devra être dépassé sur plusieurs décennies. Toutefois, le couperet est imminent : à ce jour, Copernicus estime le réchauffement à +1,4 °C. « Le dépassement est désormais inévitable », a d'ailleurs confirmé le patron des Nations unies, António Guterres, en amont de la COP30. « Cela est dû à l'insuffisance des mesures prises en faveur du climat au cours des dernières années », a abondé Jim Skea, président du Giec, le groupe d'experts établissant le consensus scientifique sur la crise climatique.
Peut-on dès lors parler d'échec total de la mission ? Jusque dans les années 2010, la Terre filait droit vers une hausse du thermomètre de 4 °C à l'horizon de la fin du siècle. À présent, les politiques climatiques mises en place dans chaque pays conduisent la planète vers +2,8 °C. Autrement dit, l'Accord de Paris correspond à une période d'infléchissement de la hausse de nos émissions de carbone, qu'il a, a minima, permis d'encadrer et d'encourager. Mais son objectif phare tombera à coup sûr à l'eau. Reste à œuvrer pour que ce dépassement soit le plus temporaire possible.
2. Toujours plus de fossiles et d'émissions de CO2
Freiner la hausse des températures nécessite en premier lieu une réduction colossale des émissions de gaz à effet de serre. En 2024, quelque 57,7 gigatonnes d'équivalent CO2 ont été rejetées par les humains dans l'atmosphère. Un chiffre en augmentation de 13 % depuis 2010, d'après une étude publiée le 4 novembre par un organe de l'ONU. L'abandon progressif des hydrocarbures apparaît dès lors comme la clé principale pour stopper cette tendance et atteindre le plus tôt possible le pic des émissions.
Problème : l'accord adopté en 2015 ne fait pas explicitement référence à ce point précis. « Il ne s'agit pas là d'un impensé des négociations climat, mais le résultat d'un rapport de force entretenu par les États souhaitant protéger leurs intérêts financiers et géostratégiques dans les énergies fossiles », écrit dans un récent rapport Gaïa Febvre, chargée des politiques internationales au Réseau Action Climat.
Et les répercussions une décennie plus tard sont palpables : leur production ne cesse d'augmenter, et pas moins de 1 570 nouveaux projets d'extraction de pétrole et de gaz ont été comptabilisés par Reclaim Finance depuis l'Accord de Paris. Même la France - pays berceau du traité se targuant d'incarner une diplomatie climatique ambitieuse - soutient activement la multinationale TotalEnergies, dont deux tiers des investissements seront encore consacrés aux hydrocarbures en 2030.
Bonne nouvelle, en revanche : il y a dix ans, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) projetait que les renouvelables constitueraient un tiers de la production mondiale d'électricité d'ici 2040. Avec seize ans d'avance, l'objectif a été accompli l'an passé, précise La Croix. Malheureusement, cette percée ne s'opère pas aux dépens des combustibles fossiles mais nourrit seulement une demande accrue en énergie.
3. Une boussole perdant son cap
En dépit de ces chiffres démoralisants, l'Accord de Paris demeure la seule véritable boussole internationale dans la bataille contre la crise climatique. Retrait des États-Unis de Donald Trump, tensions géopolitiques croissantes dans le monde, pandémie de Covid-19... « Il a démontré sa résilience malgré les crises successibles, note Gaïa Febvre. Il reste le seul outil multilatéral ratifié par 194 États dont nous disposons aujourd'hui. »
Conçu sans date d'expiration, le traité pose un cap. Un horizon commun et partagé : celui de 1,5 °C. Pour s'y tenir, les Parties sont chargées de formuler tous les cinq ans des engagements de réduction de leurs émissions. Baptisés CDN dans le jargon diplomatique, ces plans devaient d'ailleurs être révisés cette année. Malheureusement, 95 % des pays n'ont pas respecté la date butoir du 10 février pour soumettre leurs copies mises à jour. Et bien qu'un délai supplémentaire de sept mois ait été accordé aux retardataires, beaucoup manquent à l'appel.
Et pour ceux ayant rendu leurs devoirs, le constat est peu réjouissant : fin octobre, les Nations unies déploraient que les nouvelles feuilles de route publiées conduiraient à des réductions d'émission de gaz à effet de serre de 11 à 24 % d'ici 2035, en comparaison à 2019. Pour respecter la trajectoire fixée, ce pourcentage devrait s'élever à 57 %. Traduction : le compte n'y est pas.
Là résulte toute l'ambiguïté de l'accord adopté en 2015. Celui-ci est juridiquement contraignant dans la théorie, mais contraindre un État à respecter ses engagements est dans les faits impossible, analyse Marta Torre-Schaub, juriste et directrice de recherche au CNRS.
4. Le fossé se creuse entre Nord et Sud global
D'autant qu'un autre obstacle freine la mise en œuvre du traité : les financements. Son article 9 prévoit que « les pays développés fournissent des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement ». Ce, car les premiers sont historiquement responsables de la crise climatique affectant aujourd'hui davantage les seconds. Avec le départ fracassant du président climatodénialiste des États-Unis, ce devoir repose désormais grandement sur l'Union européenne. Et celle-ci, désireuse de ne pas porter seule ce poids, pointe du doigt la Chine... pour l'instant exonérée de participation financière obligatoire.
Résultat ? Les pays se déchirent sur cette question financière, creusant un fossé de plus en plus grand entre le Nord et le Sud global. Le fiasco de la COP29 en Azerbaïdjan en est l'illustration même : bien loin des 1 300 milliards de dollars nécessaires à la transition des États vulnérables, les pays les plus riches s'y sont engagés à fournir 300 milliards de dollars par an à l'horizon 2035. Un accord jugé « ridicule » et « néocolonialiste », au regard de la dette climatique. Faute d'argent suffisant, les pays les plus pauvres ne peuvent dès lors s'engager sur des feuilles de route ambitieuses qu'ils ne pourraient ensuite financer. Et se boucle ici le cercle vicieux.
5. Et maintenant ?
Aussi nombreuses soient les critiques et les réformes à apporter à l'actuelle gouvernance internationale sur le climat, « les COP et les accords qui en découlent sont probablement le signe le plus tangible de la possibilité de faire vivre une forme de multilatéralisme, une arène où entretenir l'idée de la construction d'un monde commun », ajoute Marta Torre-Schaub. « On peut les voir avec cynisme, mais l'autre solution, c'est la guerre de tous contre tous, ce qui fait probablement de l'Accord de Paris un bien commun très précieux dans le contexte géopolitique actuel », abonde dans le même article du CNRS l'anthropologue Jean Foyer.
S'il ne peut à lui seul inverser le cours du réchauffement, l'Accord de Paris a donc le mérite de montrer la direction vers laquelle le monde doit se diriger : « Sortir des énergies fossiles, financer équitablement la transition et garantir qu'elle soit juste pour tous, résume Oxfam. L'Histoire retiendra celles et ceux qui auront choisir d'agir... et ceux qui auront renoncé. »
Source: Reporterre
